lundi 20 juillet 2009

Histoire lunaire


Il y a 40 ans : l’heure de gloire d’Herr von Braun



Avez-vous entendu dire que, il y a 40 ans, le 20 juillet 1969, un homme a marché sur la lune ? Le contraire serait étonnant.
En fait, ceux qui sont assez vieux pour se souvenir de l’évènement, en général, se souviennent également exactement d’où ils étaient et de ce qu’ils faisaient à ce moment.
Pour ma part, j’étais, avec toute ma famille, figé devant mon écran de télé, à la maison, à Plessisville. Bien qu’en fait, on n’y voyait pas grand-chose tellement la qualité de l’image noir et blanc était mauvaise. Au fond, quand le prof Lebrun a dit que Neil Armstrong avait mis le pied sur la lune, nous l’avons cru sur parole.
Il était assez difficile d’ignorer que l’évènement allait se produire vu que, depuis 1968, et à notre grande frustration, la programmation habituelle des 2 chaînes de télé francophone était à tout bout de champ interrompue par des « reportages spéciaux » sur les différentes missions Appolo. Ce fut un peu la première expérience de reportage télé en continu. Sans doute par manque d’habitude, nous nous apercevions qu’on y répétait régulièrement la même chose.
Néanmoins, nous ne voulions pas manquer ça. Surtout moi, pour qui cela avait un petit goût de triomphe. Depuis que les aventures de Tintin en dessin animé nous avaient montré la fusée du prof. Tournesol, j’avais régulièrement eu des discussions avec mon père et les reste de ma famille. J’étais le seul qui soutenait que c’était possible. Je ne me suis pas privé de leur rappeler. Mon père a trouvé facilement une réplique : il a tout simplement exprimé des doutes à l’effet que l’évènement ait réellement eu lieu. « Ça a pu être tourné en studio à Hollywood » disait-il. Il ne savait pas qu’il était en avance de plusieurs décennies dans l’élaboration des théories du complot.
À la télé, les experts ne se pouvaient plus à force de superlatifs. Et on nous parlait des projets à venir : le Skylab, la navette et … le premier homme sur Mars. On prévoyait cette mission pour… 1986 ! Décidément, le futur n’est plus ce qu’il était…
Toujours est-il qu’après dix ans de ce qu’on appelait la « course à l’espace », les Américains pouvaient se péter les bretelles. Ils avaient été les premiers sur la lune, damant le pion à ces satanés bolcheviques qui avaient lancé le premier satellite artificiel et le premier homme dans l’espace. C’tait le triomphe du capitalisme (bien que, à vrai dire, la NASA fut une entreprise d’État qui n’a jamais fait un sou de profit) et de la démocratie… en même que celui du Sturmbannfuhrer S.S. Wernher von Braun.


Dans les années 60 et 70, Wernher von Braun était mon héros. C’était le génie qui avait conquis la lune. Le concepteur de la fusée qui avait rendu l’exploit possible.


Son histoire est des plus édifiantes.
Né en 1912 dans une famille noble de Posen, en Prusse orientale (pays qui n’existe plus depuis 1945), cet individu a consacré sa vie à un seul projet : le voyage sur la lune. Sa carrière est fascinante : après avoir obtenu un diplôme d’ingénieur en 1930, il se joignit à un club appelé la Société pour le vol spatial (Verein fur Raumschiffahrt ou VfR), fondé par un groupe d’enthousiastes, majoritairement des écrivains, décidés à faire passer le vol spatial de la fiction à la réalité. Von Braun et un groupe de jeunes collègues entreprirent donc de fabriquer des fusées à carburant liquide et de les essayer sur un terrain vague, aux environs de Berlin. En 1934, notre homme travaillait pour l’armée. En 1937, il se joignait au parti nazi et, en 1942, la base de Peenemunde, sur la Baltique, grouillait de l’activité de 4 000 travailleurs sous la direction de Wernher von Braun, maintenant devenu membre de la S.S. avec le grade de Sturmbannfuhrer (major). C’est là qu’il mit au point les premiers missiles balistiques, les fameuses V2 qui servirent à bombarder Londres et d’autres villes. Elles étaient produites dans une immense usine souterraine utilisant la main-d’œuvre captive des camps de concentration. Von Braun y dirigeait la production. L’endroit, appelé Mittelwerk, dépendait du camp de concentration de Dora. Environ un tiers des captifs forcés de travailler dans cette gigantesque termitière y moururent en raison de l’insuffisance de nourriture et de soins médicaux ainsi que de la brutalité des gardiens. Von Braun continuait à plancher sur des projets de fusées de plus en plus gigantesques qui enverraient un jour un astronaute, (nazi, on l’imagine) sur la lune.
Quand la défaite de l’Allemagne fut complète, von Braun organisa le départ d’environ
3 000 des 4 000 travailleurs, techniciens et ingénieurs de Peenemunde, leur permettant de traverser le pays en ruine pour fuir l’Armée rouge et se rendre aux Américains. Von Braun lui-même fit irruption, sur un vélo, dans un camp américain avec les plans de ses fusées roulés dans un tube de carton attaché au siège. L’armée des États-Unis envahit l’usine de Mittelwerk et entreprit de la démonter entièrement. Pas un seul papier ne fut laissé sur le sol. Tout fut embarqué et expédié aux États-Unis : plans, machines, pièces de rechange et, bien sûr, les fusées à leur différents stades d’achèvement.
Compte tenu de son rôle dans le camp de concentration de Dora, von Braun aurait pu (certains diront : aurait dû) se retrouver dans les rangs des accusés au procès de Nuremberg.
Mais on ne juge pas quelqu’un dont on a besoin pour s’assurer une supériorité militaire. Le plus haut gradé de Dora à être jugé avait rang de capitaine...
L’ex-Sturmbannfuhrer et 118 de ses hommes furent expédiés, dans le plus grand secret et illégalement, à White Sands, base de l’armée de l’air située dans le désert du Nouveau-Mexique. On les mit aussitôt à la construction de V 2, qui furent testées sur place, ainsi qu’à la conception de nouveaux modèles de fusées. En 1949, soit quatre ans après leur arrivée aux États-Unis et leur engagement dans des projets top-secret de la défense, l’équipe des savants allemands eut droit à un petit voyage au Mexique, ce qui permit au gouvernement de leur remettre un visa pour entrer aux États-Unis et de régulariser leur situation...
La guerre froide était commencée et les anciens nazis de Dora et de Peenemunde étaient maintenant considérés comme indispensables à la défense de la démocratie. Il fut désormais jugé du plus mauvais goût de faire allusion au passé politique de von Braun et ses collègues.
Tout en travaillant à la mise au point de missiles balistiques, l’ingénieur Wernher von Braun se fit propagandiste. Il entreprit une longue campagne dans le but de populariser son vieux rêve de conquête de l’Espace. Il écrivit en 1951 une série d’articles à cet effet dans le magazine Collier’s. Il s’agissait de convaincre le grand public que le vol spatial n’était plus une rêverie pour amateur de science-fiction mais que la technologie existait pour le faire passer dans le domaine de la réalité. À cette fin, von Braun trouva un allié de taille en la personne de… Walt Disney. Von Braun servit de conseiller technique pour la production d’un film documentaire intitulé Man in Space, qui fut diffusé à la télévision en 1955 et attira 100 milions de téléspectateurs. La même année vit l’ouverture de Disneyland, en Californie. La partie «futuriste» du parc avait été conçue avec l’aide de Wernher von Braun.
En 1959, après le choc du lancement du premier soviétique, le président Eisenhower ordonna la création de la NASA. Des dizaines d’installations appartenant aux forces armées furent transférées au nouvel organisme. Le dossier de von Braun concernant son passé nazi fut également confié à un organisme dépendant de la NASA, le Marshall Space Flight Center, dont le directeur fut... Wernher von Braun. Il gérait aussi à ce titre 40 % du budget total de la NASA. Il put enfin se remettre à la création de fusées destinées au vol spatial.
Après les programmes les vols Mercury, et Gemini vint le programme Appolo, qui utilisa le dernier produit du génie de von Braun : la gigantesque fusée Saturn V. C’est avec cet engin que, le 21 juillet 1969, le Germano-américain vit son rêve se réaliser lorsque Neil Armstrong posa le pied sur le sol lunaire. Durant toute cette période, les journalistes qui rencontrèrent von Braun ou couvrirent le programme spatial américain évitèrent soigneusement les questions embarrassantes et n’évoquaient son passé nazi qu’avec de curieux trous de mémoire. Nul n’aurait eu le mauvais goût de rappeler le grade de Sturmbannfuhrer que von Braun avait porté dans les S.S... Sauf la journaliste italienne Oriana Falacci. Celle-ci posa quelques questions embarrassantes et expulsée du bureau de von Braun Tout ce qu’on lisait sur lui à l’époque était conçu pour nous le présenter comme un homologue du professeur Tournesol : un brave savant inoffensif et un peu rêveur.
Mais les jours des anciens nazis à la NASA achevaient : en 1976, sur les 118 membres de l’équipe que von Braun avait amené aux USA, seuls 8 étaient encore en fonction.
Von Braun lui-même donna sa démission en 1972. Il fut ensuite président d’un groupe privé intitulé le National Space Institute, composé d’individus riches et influents faisant la promotion du programme spatial... et de la guerre froide. Wernher von Braun mourut, d’une tumeur maligne à l’intestin, en 1977.
Un héros de la conquête spatiale.
Comme disait l’historien Paul Veyne : « On ignore toujours ce qu’on croit qu’on n’a pas le droit de savoir. »