dimanche 14 décembre 2008

Histoire de Noël (ou des Fêtes ?)


Avez-vous peur qu’on vous enlève votre arbre de Noël ?

Parce que, paraît-il que c’est un danger pressant.

L’ex-chef de l’ADQ a soulevé cette question fondamentale durant la dernière campagne électorale : les « multiculturalistes » tenteraient d’enlever aux Québécois toutes leurs traditions.
Il n’a pas dit « les immigrants » ou les « musulmans ». Ses partisans, eux, ne s’en sont pas privés sur les blogues et tribunes radiophoniques.
Ce qui est assez drôle car je n’ai pas entendu un seul immigrant parler de la question. Ça se passe entre « pures laines ».

Pour ajouter de l’huile sur le feu, le Journal de Montréal a fait sa une (!) avec le fait que le Premier Ministre Jean Charest a fait corriger un communiqué où l'on parlait de « sapin des fêtes » et remplacer l’expression par « sapin de Noël ». Et si c’est en première page de la presse à Péladeau, ça doit être important. En tout cas, ça a dû aussi faire les manchettes des nouvelles TVA. Vous voyez bien que c’est important…

Remarquons qu’il y a trente ans, on nous faisait peur en nous disant que nous allions « perdre nos Rocheuses » si le Québec devenait indépendant. Maintenant, nous risquons de perdre nos arbres de Noël si nous ne nous « tenons pas debout » Il me semble que c’est moins gros, comme peur… et pas mal moins précis comme solution.

Néanmoins pour combattre cette odieuse entreprise « dénationalisatrice» de la gauche « cosmopolite » comme dirait le Chanoine Groulx, je vais raconter l’histoire d’une de « nos traditions de Noël ».

L’histoire du Minuit, Chrétiens ! Ce classique des Fêtes.

J’ai, un jour, entendu quelqu’un me dire que tout homme canadien-français ayant au moins un filet de voix avait rêvé de chanter le Minuit Chrétiens ! à la messe de minuit, une fois dans sa vie.

Est-ce assez traditionnel et national, ça, ma chère ?

Eh bien, savez-vous quoi ?

Le Cardinal Rodrigue Villeneuve, archevêque de Québec de 1931 à 1947 recommandait fortement à ses fidèles de ne pas chanter le Minuit Chrétiens ! durant la messe de minuit. Certains diocèses et paroisses de la Belle Province obéirent, d’autres pas car les fidèles réclamaient cette chanson à leurs curés.

Le brave Cardinal n’avait pas pensé à ça tout seul. Il n’a fait qu’emboîter le pas à une campagne menée en France contre la décadence de la musique religieuse par la Schola Cantorum du comte Vincent d’Indy, institution vouée à la musique d’église. Le brave comte avait écrit et fait écrire une grande quantité d’articles très virulents où Minuit Chrétiens ! était traité, entre autre, de « musique d’ivrogne ».

Les musiciens d’église jugeaient la pièce « théâtrale », de « mauvais goût », « vulgaire ».
Les clercs estimaient certaines expressions du texte, tel « l’homme dieu » et « de son père arrêter le courroux », non-conformes à la théologie. Bref, ce chant n’était pas très catholique.

Musique d’ivrogne ? Pas catholique ? Le Minuit chrétien ! Où est-ce qu’on s’en va ?

Parlons un peut des origines de ce chant.
Le compositeur, Adolphe Adam, (1803-1856) était d’origine juive et, de plus, musicien de théâtre. Pas totalement oublié aujourd’hui puisqu’il est l’auteur du ballet Giselle, encore présenté de nos jours, et de nombreux opéras légers. Sauf que l’Église a toujours condamné le théâtre et que les Juifs, au XIXe siècle, étaient encore le peuple « déicide » aux yeux de la hiérarchie et des fidèles.
Ça ne s’arrange pas avec l’auteur des paroles, Placide Cappeau, (1808-1877), marchand de vin de Roquemaure, franc-maçon notoire, conseiller municipal connu comme anticlérical dans son patelin. Il travaillait pour la société Auguste Bessy, Clerc fils et Cappeau, fondée en 1836.
Plus grave, il y avait les rumeurs entourant la naissance de la mélodie : Cappeau aurait écrit le texte pendant une joyeuse beuverie. Adam aurait recyclé un air de ses opéras et offert le cantique comme cadeau à sa maîtresse.

Et puis, la mélodie n’a rien à voir avec la musique d’église traditionnelle. Elle tient plutôt de la marche militaire. Et les paroles !

« Le Rédempteur a brisé toute entrave
La Terre est libre ou le ciel est ouvert
Il voit un frère ou n’était qu’un esclave.
L’Amour unit ceux qu’enchaînait le fer »


Une « Marseillaise religieuse » selon Adam. Pour bien juger de l’impact de ce commentaire, il faut se souvenir qu’au XIXe siècle, la Marseillaise était encore un chant révolutionnaire. Pas un bon catholique conservateur (et encore moins un prêtre) ne se serait fait prendre à chanter l’hymne républicain.
Pour revenir au Minuit, Chrétiens ! l’œuvre fut chantée pour la première fois à l’église de Roquemaure, le 24 décembre 1847 par madame Emily Laurey. Le titre était à l’époque Noël. L’usage s’est établi de l’identifier aux premiers mots du chant.

Le 24 décembre 1847, c’est deux mois avant la Révolution de 1848, qui allait renverser la monarchie de Louis-Philippe 1er et établir la IIe République française. Le texte original était un peu différent du texte final, semble-t-il. Presque un appel à la révolte, selon Floriant Bernard, directeur de chorale montréalais. Le Larousse de la Musique de 1957 le décrit comme un « poème épique anticlérical ».


D’où certaines réticences à l’identifier à la plus grande fête chrétienne.
Mais, si la nouvelle chanson était controversée aux yeux de l’Église, son succès populaire fut instantané.

L’organiste Ernest Gagnon, de Québec l’entendit à Paris en 1857 et l’introduisit au Bas-Canada l’année suivante. Il fut chanté dans l'église de Sillery près de Québec par la fille aînée du juge René-Édouard Caron (plus tard lieutenant-gouverneur de la province) et accompagnée par Ernest Gagnon. Ironiquement, cet air qu’on identifie tellement à des voix de ténor fut tout d’abord chanté par des femmes.
Le succès fut colossal au Canada français. Néanmoins, en 1859, la controverse européenne se retrouva dans les journaux du Bas-Canada. Dans L'Ère Nouvelle des Trois-Rivières et Le Journal de Québec Ernest Gagnon et Antoine Dessane (1826-1873), un musicien français de renom installé au Canada ferraillèrent au sujet du Minuit, Chrétiens ! Dessane semblait particulièrement irrité du fait que le Noël d'Adam ait été proposé au public canadien par quelqu'un d'autre que lui. À la longue, Dessane perdit la faveur du public.
En 1905, Gagnon alors âgé de 71 ans, se demandait toujours si le Minuit, Chrétiens ! vivrait encore longtemps.
Nous connaissons la réponse. Chanter le Minuit Chrétiens ! à la messe de minuit fut longtemps un honneur réservé à un notable si on en trouvait un pourvu d’un « bel organe » comme on disait alors. Sinon, c’était la tâche du maître chantre de la paroisse.
Pas trop catholique, l’hymne est aussi chanté aussi chez les protestants. O Holy Night !

Il a été enregistré par des voix aussi célèbres que Caruso, Tino Rossi Pavarotti, Raoul Jobin, Richard Verreau … Et Johnny Farago.

On a les traditions qu’on peut.

Dans le fond la chicane autour du fait de dire « arbre de Noël » ou « arbre des Fêtes » relève aussi d’une longue tradition : la controverse autour des symboles de Noël.


Cette histoire, et quelques autres, fera l’objet des « Histoires à Dormir Debout ! Spéciales du temps des fêtes » à la radio CJRD 88,9 FM à Drummondville. Une série de capsules de 5-10 minutes diffusées les mardis et jeudis à 10h20 et 13h20 durant les vacances de Noël.

On peut nous écouter en ligne au : http://www.cjrdfm.com/

Photo : Le Yéti de Noël. Œuvre orignale de Claire Tessier…